Les footballeurs de notre Championnat s'intéressent de plus en plus à l'entrepreneuriat. En dépit des risques, ils n'hésitent plus à se lancer.
Les joueurs de Ligue 1 passent la moitié de leur vie en l'air ou sur les terrains, mais quand l'avion se pose sur la piste, le temps libre est important, pas toujours facile à combler, et peut alors parfois germer le blues du footballeur.
Afin d'y parer, une activité commence sérieusement à se diffuser chez les footeux : l'entrepreneuriat. Et si l'ailier de Manchester City Phil Foden a annoncé attendre la fin de sa carrière pour lancer son vlog dédié à la pêche, d'autres ont déjà franchi le pas, comme Eduardo Camavinga, qui a ouvert en septembre un barber shop à Rennes. La Ligue 1 recèle aussi ses Steve Jobs en herbe, comme le Nantais Jean-Charles Castelletto, qui a participé avec sa femme à l'ouverture d'un cabinet d'esthétique à Lorient.
« Je démarche notamment tout ce qui est sponsors. Il y a un côté relationnel. Ça m'intéresse », Brendan Chardonnet, défenseur de Brest.
« Avec mon cousin, je suis en train de construire un complexe de padel à Guilers, à côté de Brest, cela fait un an qu'on est dessus, glisse pour sa part le défenseur des Pirates Brendan Chardonnet (29 ans), co-gérant pour l'occasion d'une société civile immobilière (SCI). Une carrière, c'est long et court à la fois, ça ne suffit pas pour vivre jusqu'à la fin de ses jours. Mon cousin a des connaissances dans ce milieu, j'apprends au fur et à mesure. Je démarche notamment tout ce qui est sponsors. Il y a un côté relationnel. Ça m'intéresse. »
Les motivations ne sont pas simplement financières. « Je veux avoir l'opportunité à la fin de ma carrière de choisir ce que je veux faire, pose l'ancien d'Angers Jean-Pierre Nsamé (31 ans), lancé dans deux projets, dont un de restauration rapide. Je n'ai pas envie de bosser pour un patron ou de me lever à 8 heures, et j'ai envie de passer plus de temps en famille. » Cette fibre reflète aussi le besoin de s'offrir une respiration alors que les matches s'enchaînent.
« Ils ont besoin de s'épanouir en dehors du foot et l'entrepreneuriat est une solution, observe Pierre Chiffoleau, qui s'est associé avec Kévin Onnée il y a quelques années pour accompagner les sportifs (parmi lesquels des footballeurs et les handballeuses Estelle Nze Minko et Allison Pineau). Il leur faut généralement quelque chose qui leur tient à coeur. Ce n'est pas facile de se jeter à l'eau, mais ils sont friands de ça. Il y a tout type de projets et, à chaque fois, ils veulent comprendre ce qu'ils font. Souvent, ils ont même le regret de ne pas s'être lancés plus tôt pour développer un réseau. Sans grands diplômes pour certains, ce n'est pas évident. »
« C'est parce que j'ai des craintes que je cherche à avoir plus de connaissances, notamment sur l'aspect technique. », Jeremie Boga, attaquant de Nice.
Raison sociale, SIRET, SIREN, forme juridique, TVA, domaines d'activité, capital social... Le lexique n'est pas toujours intuitif, il y a vite de quoi s'y perdre. Et les chiffres ne sont pas rassurants. La dernière étude trimestrielle menée par le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires laisse entrevoir un record de défaillances d'entreprises en France en 2024 (plus de 63 000 entre octobre 2023 et septembre 2024 pour 411 000 créations, hors micro-entrepreneurs).
L'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), le syndicat des joueurs, propose donc des formations, et des structures spécialisées guident les aspirants dans leurs démarches. « Le rêve ultime serait d'ouvrir une chaîne de restaurants, mais je n'ai pas fait d'études là-dedans, confie l'attaquant de Nice Jeremie Boga (27 ans), qui suit des cours depuis plusieurs semaines. Je me suis vite arrêté pour me consacrer au foot à 15, 16 ans. C'est parce que j'ai des craintes que je cherche à avoir plus de connaissances, notamment sur l'aspect technique. Plus tu en as, moins tu as de chances d'échouer. » « Mais si tu veux gagner, il faut être prêt à perdre, et quand tu te lances, ce n'est pas forcément la première année que ça va marcher », garde à l'esprit Nsamé.
Au moins les footeux sont-ils chevronnés à la pression qu'ils subissent également sur le rectangle vert. « Il y a pas mal de choses qui se rejoignent entre le sport et l'entrepreneuriat, pense le défenseur du Havre Christopher Opéri (27 ans), qui suit lui aussi une formation en visio. Il peut y avoir des périodes où ça se passe moins bien, il faut être motivé, ne pas se laisser abattre, avoir des qualités de leadership... Savoir comment on gère des employés, c'est aussi excitant, intéressant. »
Le plus dur, comme souvent, est de trouver la bonne idée, mais là encore, nos « footeux » présentent un atout non négligeable. « On voyage beaucoup, raconte Nsamé, qui évolue aujourd'hui au Legia Varsovie. Donc chaque fois que je suis dans un pays, une ville, j'essaie d'en tirer quelque chose. Le projet dans lequel j'ai déjà investi, dans la restauration rapide, n'est pas un fast-food. Il est inspiré de mon passage en Italie, à Venise puis Côme. »
La route vers la fortune ? Il est trop tôt pour le dire, mais des réussites existent dans le milieu, comme celle de Mathieu Flamini, qui a fondé en 2008 une florissante entreprise de biochimie alors qu'il évoluait à Arsenal. En 2018, il était entré dans le classement des 500 plus grandes fortunes françaises de l'hebdomadaire Challenges. Cet exemple a fait des petits, et une partie de la Ligue 1 se plaît à son tour à voyager en classe affaires.
Jérémy Pied : « Il faut être accompagné »
L'ancien joueur (35 ans) de Nice et Lille notamment, qui s'est lancé dans l'immobilier quand il était joueur, invite les entrepreneurs en herbe à bien s'entourer avant de se lancer.
« Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l'entrepreneuriat ?
Joueur, je m'étais fixé comme pari d'arriver, après le foot, au même salaire, mais sans le foot. Je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je savais ce que je ne voulais pas faire. J'ai commenté un match, je n'ai pas aimé. Le bord terrain, agent de joueurs, non plus. Et je préfère avoir mes week-ends. J'ai eu beaucoup de temps pendant la période Covid, et le secteur des biens immobiliers m'intéressait énormément (il avait investi depuis son passage en Angleterre entre 2016 et 2018). Quand on avait du temps libre, joueur, j'étais content de faire mes recherches. Je me suis lancé par hasard mais j'ai été séduit par ça.
Pourquoi ?
J'aime bien le côté diversification. Et avec les salaires d'aujourd'hui il y a énormément d'imposition. J'ai compris qu'il y avait de l'optimisation à faire, qu'on pouvait acheter, placer un locataire, qu'il y avait des sociétés à créer dans les transactions, les meublés, le viager ou les constructions avec économies d'impôts. On retrouve aussi un important côté compétiteur dans l'entrepreneuriat. Dans l'immobilier (il déniche notamment des biens d'exceptions sur la Côte d'Azur), je me demande s'il ne faut pas être plus compétiteur qu'au foot (sourire). Il faut du caractère, savoir oser, se lancer. Par exemple, à Cannes, j'avais vu qu'il y avait pas mal de congrès. Il fallait acheter le plus proche du palais des festivals, on sait qu'il y a beaucoup de locations saisonnières.
Il faut s'y connaître un peu avant, non ?
Je n'avais pas de craintes jusqu'à ce que je me rende compte de tout le travail à effectuer. Prendre des experts-comptables, des gestionnaires, cela a un coût. Mais je préfère avoir affaire à des gens qui savent faire, car seul tu peux parfois commettre des erreurs irréparables. Vouloir tout négocier est une chose. Mais il faut aussi savoir payer les gens qui savent. Il y a par exemple des bilans annuels à effectuer. Quand on veut louer un meublé, il ne faut pas se tromper. Il faut faire la différence entre amortissements, frais... À moins de l'avoir appris à l'école... Et quand tu es footballeur, il faut être accompagné, on ne va pas se compliquer la vie la veille d'un match, par exemple. Si les joueurs arrivent à épargner suffisamment, et ensuite à trouver les bonnes personnes pour se diversifier dans ce qu'ils aiment faire, tout devrait bien se passer. »
Article écrit par : THOMAS DOUCET // L'EQUIPE.